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De Recin à Manille... passions d'une vie

partie 1 partie 2 partie 3

 
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La ferme familiale de Recin (Tourmont) et le travail dans les champs

Né en 1938, troisième enfant d’une famille de dix, ma vie a débuté à la ferme agricole familiale de Reçin, un hameau du village de Tourmont dans le Jura.

La polyculture s’imposait en cette période de guerre. Le travail à la ferme et dans les champs ne connaissait pas les facilités de maintenant. Aujourd’hui on qualifierait de "très dure" la vie qui était la nôtre, mais on ne connaissait rien d’autre et à cette époque cela était tout à fait naturel. Cette vie était des plus saines et nous n’avions pas de raison de nous plaindre à ce moment là. Toutefois, mes origines ne présageaient en rien de la vie qui m’attendait.

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En 1958, j’ai été appelé sous les drapeaux pour y passer… 30 mois. Le train aéroporté, à vrai dire ce n’était pas mal, car j’y ai reçu un très bon apprentissage de la mécanique. Parallèlement j'ai découvert un sport qui m’a vraiment passionné : le parachutisme (avec le béret rouge et son fameux macaron ou la casquette camouflée des Bigeard Boy).

Certes, à l'époque, l’objectif de cet entraînement de six mois dans le Sud-ouest de la France était tout autre qu'une préparation à des JO ! À la suite de ces spécialisations, j’ai été envoyé en Algérie.

C’est ainsi que, durant une longue période comme chef de rame, j’ai été détaché au sein des Régiments de la 25iem DP, principalement avec le 9iem RCP, (Régiment de chasseurs parachutistes) et le 2iem REP (Régiment étranger parachutiste). Cette affectation m'a permis de découvrir l’Algérie d’Est en Ouest, de la frontière tunisienne à la frontière marocaine et du Nord au Sud, des côtes de la Méditerranée aux portes des déserts en passant par les Montagnes des Aurès, de la Petite et de la Grande Kabylie.

Si ce fut une grande aventure, pas toujours joyeuse, mais un tel vécu, ça forge et ça trempe quelqu’un.

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En plus d'un diplôme délivré par la Chambre d'agriculture du Jura, suite à des cours par correspondance que j'ai suivis pendant deux années durant le temps passé à la ferme, plus mes certificats de mécanique, mon brevet de parachutiste, mes permis de conduire VL, PL, PL avec remorque et les médailles qui m'ont été remises en fin de service, je ne possédais qu'un certificat d'études.

De ma faute … ! Parce que par deux fois je me suis sauvé de la pension où j’ai été envoyé à l’âge de 12 ans pour y étudier. Les fenêtres des salles de classe donnaient sur les flancs d’une magnifique vallée reculée, cette montagne jurassienne si verte, si belle tant en été qu’en hiver.

Bref, il aurait fallu que les tableaux noirs soient fixés dans l’encadrement de ces fenêtres afin que je puisse mieux lire et surtout davantage retenir ce qui était écrit dessus ! Mais cette nature m’attirait bien davantage que ces panneaux noirs que je trouvais vilains. (Ci-contre, ce qui était une "piscine" dans laquelle j'ai appris à nager, activité plus intéressant que celles d'une salle de classe !)

(L'image ci-contre a été prise au Centre Formation de Metz, en compagnie d'élèves pour la transmission du savoir-faire).

(L'image ci-contre a été prise au Centre Formation de Metz, en compagnie d'élèves pour la transmission du savoir-faire).

C’est alors qu’au retour de mon service militaire, en 1961, j’ai suivi un stage de plombier sanitaire au sein de l’AFPA. En fin de stage, de nombreux patrons et chefs d'entreprise venaient dans les ateliers de formation; ils nous faisaient des offres en nous demandant de les rejoindre dès la fin des examens. Il y en avait tant de ces patrons que l’on se permettait de choisir le plus près de chez soi et bien entendu le plus offrant. Ainsi, durant 17 années, j'ai pratiqué le métier de plombier sanitaire et chauffage dans une entreprise de Luxeuil-les- Bains.

Je travaillais beaucoup (bien souvent plus de 2 X 35). De plus, en autodidacte, je continuais d'étudier toutes les nouvelles techniques et avancées en la matière. Un jour, suite à une annonce de recrutement d’enseignants au sein de l’AFPA, j’ai postulé et passé avec succès tous les examens pour, à mon tour enseigner la pratique et la technologie très spécifique à ce métier que cet organisme du ministère du travail m’avait appris 17 années auparavant.

 

Parallèlement, en 1970, j'ai découvert un autre sport: la plongée sous-marine et je suis aussitôt devenu un disciple accro, cette fois-ci du bonnet rouge et des palmes. Étant donné que, lorsque j'entreprends quelque chose, surtout si cela me plaît et me convient sur le plan physique, je ne suis pas d'un tempérament à le faire à moitié, je passais tous mes temps libres et congés à la pratique de ce sport, à étudier tous les aspects, physiques bien sûr mais aussi physiologiques et techniques s'y rapportant, ceci sous la houlette de la FFESSM.

Ainsi, en l’espace de trois années de pratique, d’études et de stages, j’ai passé tous les échelons jusqu’au monitorat. Durant huit années, j’ai participé à la fondation, puis dirigé et entraîné le “Club de plongée Lure Luxeuil“; le jour où j’ai dû passer la main pour d’autres horizons, notre club comptait 72 licenciés, ce qui était formidable pour cette région de Haute Saône ! Été comme hiver, par temps de neige, sous la glace, tous les lacs, résurgences et trous d’eau du Jura, de la Haute Saône, des Vosges et du Haut-Rhin peuvent témoigner de cet entraînement intensif et ininterrompu. Oui il fallait être un peu fou, car la qualité des habits (combinaisons) à cette époque n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui et je n’avais pas les moyens d’en changer chaque fois qu’il y avait des accros.

Par expérience je sais dans quelle mesure l’organisme peut réagir lorsque cette eau glacée vous arrive au niveau du nombril; même en été, les eaux des barrages hydrauliques d’Alfeld et de Kruth Wildenstein sont très froides ! Mais c’étaient les lieux les plus fréquentés pour les entraînements de tous les plongeurs de la région, pour les passages des brevets de la FFESSM et surtout le 2iem échelon et monitorat.

En effet, nous pouvions descendre jusqu’à une vingtaine de mètres à Alfeld, à la crépine, comme on disait et à 40 mètres à Kruth Wildenstein, ainsi que dans le lac de Gérardmer. Hormis les rencontres avec les truites, les carpes, les brochets, les lottes, à vrai dire ces fonds n’étaient pas très attractifs. Par contre dès mes premières immersions en mer, autour de l’archipel de Riou, près de Marseille, que nous nous sentions à l’aise après cette dure école dans les lacs de l’Est !

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J’ai été immédiatement séduit par ce monde que l’on qualifie communément de “merveilleux“ et je ne dirai pas le contraire ! Alors je voulais le raconter, partager ces découvertes.

Mais je me suis rendu compte que c’était trop difficile à imaginer et à comprendre pour quelqu’un qui ne connaissait pas ce milieu. Il faut bien penser qu'à cette époque, il n'y avait pas autant de plongeurs et beaucoup moins de téléviseurs ! Alors je n'ai rien trouvé de mieux que de faire des photos et de les montrer.

Paysage sous la Mer Méditerranée (entrée tunnel Île de Jarre)

Paysage sous la Mer Méditerranée (entrée tunnel Île de Jarre)

Extrait de mon livre Vol 1, Page 64 :

Il devenait si difficile pour moi, d’expliquer tout ce que j’avais eu le privilège de voir, que j’ai décidé de m’équiper du matériel nécessaire pour faire de la photo sous-marine.

Durant un stage au Cap Croisette, chez Roger Poulain, après la plongée de l’après-midi, je me suis rendu à Marseille, au Vieux-Port, au magasin “La Plongée“, pour y acheter un Nikonos II avec un flash, dans un boîtier.

Bien entendu, dès le lendemain matin, assez fier, je suis descendu avec mon nouvel équipement. Cela se passait près de l’île de Riou, par 40 mètres de fond; je l’observais pour voir s’il se comportait bien à cette pression, ok, pas de problème au niveau de l’étanchéité. Le boîtier du flash était en Plexiglas transparent, son couvercle était fixé à l’aide de deux tiges filetées avec écrous papillon. Au cours de la descente, la pression ambiante augmentant, il en résulte une dépression à l’intérieur du boîtier, qui lui ne se déforme pas, mais le joint torique se comprime, s’écrase et en quelque sorte libère les écrous papillon. Tant que l'on se maintient à cette pression, tout se passe normalement, mais en évoluant, les écrous papillon se sont libérés et dévissés. Au cours de la remontée, la pression diminuant, l’air à l’intérieur du boîtier reprend progressivement son volume initial, ainsi que le joint torique, mais les écrous n’étant plus suffisamment serrés pour que l’étanchéité soit assurée, en arrivant au niveau des trois mètres, alors que l'on s’arrête pour y effectuer les paliers de décompression nécessaires, j’ai vu que mon boîtier était rempli d’eau blanche, réaction eau de mer et batteries et, bien entendu, le flash fut complètement détruit. Si mes premières photos furent assez bien réussies, j’étais quand même bien triste à la vue de mon flash qui n’aura connu qu’une seule plongée. Après cette fâcheuse aventure, il me fut aisé de constater concrètement et à mes dépens les effets relatifs à la loi de Mariotte, une des lois majeures qui régissent les problèmes de la plongée sous-marine.

Enfin, il m’en aurait fallu davantage pour arrêter mon idée de fixer la beauté des fonds des îles de Riou, de Maire, du grand Conglue, du cap Morgiou et de bien d’autres sites encore.

Le soir même, je suis reparti au magasin “La Plongée“. Je n’oublie pas l’extrême gentillesse de la patronne qui, tout juste après lui avoir expliqué ce qui m’était arrivé et sans autre explication, m’a gentiment redonné un nouveau flash. Avant toute autre immersion, j'ai adapté un système pour bloquer les écrous papillon sur le couvercle du boîtier.

Ce furent là mes débuts dans la pratique de la photo sous-marine. Très vite, plongée et photo sont devenues un tout et une passion. Plus jamais l’un n'est allé sans l’autre ; le matériel d’éclairage a été remplacé par un équipement Imasub de Carlo Cecacci. Sans cesse amélioré, il a toujours fait partie de mon équipement de base au même titre que mes bouteilles ou mes palmes…

Corail rouge dans grotte en Méditerranée

Corail rouge dans grotte en Méditerranée

Baliste à rides bleues devant matériel photo aux Philippines

Baliste à rides bleues devant matériel photo aux Philippines

Bandeau : un curieux durant des fouilles

Bandeau : un curieux durant des fouilles

Durant la période d’enseignement à l’AFPA, j’ai eu “la grande chance“ d’être affecté durant plus d’une année au centre de formation professionnelle de Metz. Le Directeur administratif de ce centre était Gérard Rivière, par ailleurs membre du CAN (Cercle Aquariophile de Nancy). Bien entendu, de suite Gérard a été intéressé par les photos de flore et faune sous-marine que j’avais déjà prises au cours de mes plongées en Méditerranée et lors d’autres expéditions en mer des Caraïbes ou Océan Indien. J’en avais réalisé un montage audiovisuel qui me permettait déjà d'assouvir mon rêve: montrer et partager mes découvertes. Gérard m’a suggéré de l’accompagner à Nancy pour y rencontrer les Directeurs de l’Aquarium Tropical, les Professeurs Bruno Condé et Denis Terver. Ces personnes (je ne les oublierai jamais), ces scientifiques, m’ont d’emblée considéré, non seulement en prenant en compte mes documents photographiques mais encore en prenant le temps d’y apporter toutes les annotations spécifiques et correctes indispensables pour pouvoir présenter ces diaporamas à un public très averti que sont les membres des Clubs aquariophiles. Par la suite, ils m'ont invité à présenter ces documents dans de nombreuses Villes de l'Est lors de réunions associatives.

En février 1978, eut lieu une expédition-plongée en Mer Rouge, à Hurghada, organisée pour une quinzaine de responsables de la FFESSM, dont son Président Jacques Dumas, également Président de la CMAS, de 1978 à 1985 (Confédération Mondiale des Activités Subaquatiques) et Président de la Société Française d’archéologie sous-marine. J’avais été averti de cette expédition par Daniel Mercier, le Président du Festival annuel de l’Image Sous-marine de Juan-les-Pins, Festival auquel j’avais déjà participé deux fois. Deux jours avant le départ, Daniel m'a informé qu'une place s'était libérée; aussitôt je l'ai réservée et prit l'avion. Depuis bien des années, il n'était pas possible de plonger dans cette région mouvementée et cette expédition fut la première autorisée dans ces eaux égyptiennes de Mer Rouge, avant même les accords de Camp David de septembre 1978; mais encore, pour des raisons de sécurité, nous ne pouvions pas vivre à terre ! Aussi nous restions à bord d’un navire ancré au large (voir photo ci-contre). En plongée, Jacques Dumas faisait toujours équipe avec Georges Delonca, le médecin de la FFESSM. Ils m’ont demandé à faire partie de leur tandem pour toutes les plongées à venir. J’avoue que, venant de ces personnes, j’étais assez flatté.

Un jour Jacques m'a confié qu'il avait des projets archéologiques, des fouilles de navires antiques et historiques, dont, entre autres, “L'Orient“, le vaisseau amiral de la flotte napoléonienne, armé de 124 canons, coulé le 1er août 1798 par la flotte anglaise en Égypte, en baie d'Aboukir. Il me demande s’il me serait possible de me libérer de mes obligations de l’AFPA pour une période de deux mois dans le but de participer à la fouille de ce vaisseau en tant que chef plongeur. Bien entendu, j'ai dit oui immédiatement. En juin 1984, avec l’accord de mon ministère, j’ai rejoint le site de L’Orient en baie d’Aboukir où “Le Bon Pasteur“, notre bateau support, attendait. Cette mission fut financée par le Conseil régional PACA. Ce fut mon premier contact officiel avec l’archéologie sous-marine et pour moi une mission extraordinaire.

Non seulement à cause des fabuleuses découvertes que j’y ai faites, dont le gouvernail de ce vaisseau de 12,65 m de haut et de 1,88m de large à sa base, mais aussi, entre autres, de la montre à gousset en or avec sa chaîne à 12 longs brins sur un anneau puis deux brins de 5 cm terminés par deux pétales portant les initiales du capitaine du vaisseau, l’Amiral Paul Brueys D’Aygallier (image ci-contre). Il faut y ajouter les instruments de navigation (tout cela est visible au Musée d’Alexandrie) et beaucoup d’autres merveilles historiques remontées de ce vaisseau. Mais ce fut aussi pour moi l’occasion de côtoyer des personnalités, dont bon nombre de responsables de l’archéologie égyptienne.

 
Hurghada - Bateau site plongée

Hurghada - Bateau site plongée

 
Jacques Dumas Président de la FFESSM et de CMAS à Hurghada, Mer Rouge, en février 1978.

Jacques Dumas Président de la FFESSM et de CMAS à Hurghada, Mer Rouge, en février 1978.

En compagnie du Prince Louis Napoléon Bonaparte en Baie d’AboukirPhoto sur VSD N°384 - 29 août 1984

En compagnie du Prince Louis Napoléon Bonaparte en Baie d’Aboukir

Photo sur VSD N°384 - 29 août 1984

 

Un personnage qui m’a beaucoup marqué : le Prince Louis Napoléon Bonaparte, un descendant de la famille impériale, qui sur le lieu même du naufrage du vaisseau, a assisté de nombreuses fois à cette fouille. Je fus très fier de lui présenter des objets provenant du plus grand vaisseau de guerre de son ancêtre à cette époque.

Jacques m’a aussi confié qu’une autre mission devrait avoir lieu sur ce même site l’année suivante, qu’il avait également de nombreux projets de fouilles archéologiques sous-marines aux Philippines et qu’il aimerait bien que je fasse partie de l’équipe qui devra y prendre part. Même si, d'emblée, dans mon esprit, j'entrevoyais l'ouverture d'une grande porte, il est bien évident que cela demandait préparation.

Jacques donnait des conférences dans le cadre de “Connaissances du monde“ et en avril 1985, à Agadès, alors qu’il se présentait en scène devant plus de 500 auditeurs, il s’est effondré, victime d’une crise cardiaque. C’est un financier qui a repris à son compte tous les projets philippins.

Il me connaissait, Jacques m’ayant recommandé à lui en cas de besoin pour de telles missions. Il m’a demandé de participer à ce grand projet. Aussi, j'ai sollicité une année de congés sans solde et en octobre 1985 j'ai rejoint Manille.

Montre à gousset en or avec sa chaine à 12 longs brins aux initiales du capitaine du vaisseau

Montre à gousset en or avec sa chaine à 12 longs brins aux initiales du capitaine du vaisseau

Première photo lors de la découverte du galion San Diego

Première photo lors de la découverte du galion San Diego

Carte des sites explorés

Carte des sites explorés

Aux Philippines, les fouilles de navires antiques se sont succédées: Galions européens des 17iem et 18iem siècles, Jonques chinoises des dynasties Song, Yuan et début Ming. Là il me vient à l’esprit ce galion espagnol, le San Diego, coulé le 1er décembre 1600 par 52 mètres de fond ! Le 24 avril 1991 je fus le premier et le seul à revoir, depuis son naufrage, le contenu complet et intact: quel spectacle ! Puis durant la fouille, le 10 mars 1992, comme une récompense, j'ai découvert son astrolabe. Je pense aussi à cette jonque chinoise du 15iem, naufragée par 41 mètres de fond dans le détroit de Balabac, passage de la mer de Chine du sud à la mer des Sulu, dans une vaste ferme perlière, au pied d'un tombant de toute beauté. Au cours de sa fouille je me sentais comme quelqu’un d’autre, transporté très loin en arrière alors que je m’installais dans un des compartiments de sa coque intacte, entouré de jarres et de différentes et splendides vaisselles du 15iem destinées au commerce avec les pays de l’Asie du sud-est. Je pense aussi à la découverte de ces caisses complètes et intactes contenant des centaines de pièces de vaisselles "bleu blanc", aux décors floraux ou aquatiques, découvertes sur ce galion de la Compagnie Anglaise des Indes, naufragé en 1761, ainsi qu'à tant d’autres encore… Que de moments forts et privilégiés dans une vie de plongeur !

Ce sont au total 26 sites archéologiques sous-marins visités ou excavés, dans l'archipel des Spratleys en mer de Chine du Sud, en mer des Sulu et des Célèbes et Pacifique, sur la côte Est des Philippines. Durant toutes ces années de travail sur ces navires antiques, il m'a été donné de mettre en pratique tous mes apprentissages, mes passions: la plongée proprement dite, bien entendu, mais aussi la pratique de la photo sous-marine, le savoir-faire en plomberie, tuyautage et soudures sur métaux et le travail du PVC, que j’ai acquis grâce à l’AFPA…… et là on est en droit de se poser une question : quel est le rapport, dans ce dernier cas, avec l'archéologie sous-marine ? Eh bien, il faut savoir que pour travailler correctement et archéologiquement sur les sites, cela implique la mise en oeuvre d'un matériel spécifique souvent très lourd, que l'on ne trouve pas à la quincaillerie du coin ! Le plus important de ces outils est la suceuse : un puissant aspirateur, indispensable pour évacuer les sédiments. A défaut, impossible de travailler correctement. Cet aspirateur devra être adapté aux milieux, aux conditions de travail et sera différent selon que le site sera profond ou non, vaseux, sableux ou coralliaire, s'il y a du courant ou non ! Une attention particulière lui sera accordée pour travailler dans des endroits sensibles. Pour répondre à ces multiples impératifs, il fallait donc fabriquer les outils adéquats mais surtout performants et, bien entendu, les alimenter soit avec des compresseurs à air depuis la surface, ou de puissantes pompes à eau depuis la surface ou immergées .

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Mon savoir-faire en tuyautage et soudure prenait alors toute son importance et me permettait d'élaborer ces différents outils, parfois en pleine mer, entre deux plongées, bien souvent pendant que tout le monde faisait la sieste. La plus performante suceuse que j’ai fabriquée avait un diamètre de 25 cm et était alimentée par trois pompes submergées Caprari; un outil assez impressionnant au travail, sur le fond, à cause de sa puissance d’aspiration et de rejet. Il a permis, par exemple, d’évacuer, 18 mètres au-delà de l’épave, les quelques 60 tonnes de pierres de ballast du galion San Diego, ce qui a permis aux archéologues, spécialistes en la matière, de faire une étude très approfondie sur la construction du galion.

 
 
Découverte de l'Astrolabe du galion San Diego.

Découverte de l'Astrolabe du galion San Diego.

Dans un compartiment d'une jonque du 15iem.

Dans un compartiment d'une jonque du 15iem.

 
Découverte d'une caisse de soucoupes du galion Griffin.

Découverte d'une caisse de soucoupes du galion Griffin.

Plongeur narguilé - Hooka

Plongeur narguilé - Hooka


Ce résultat me rendait simplement heureux. Des années plus tôt, lorsque j’avais terminé une belle installation sanitaire, qu’elle fonctionnait parfaitement, alors je m’asseyais sur ma caisse à outils et, tout en la regardant, je fumais une cigarette ! Oui, satisfaction toute simple et personnelle: j’étais heureux. Bien entendu en regardant travailler ces machines sur le fond, j’aurais pu aussi m’asseoir sur une tête de corail ou une jarre Ming tout près de là. J’avoue que cela m’est arrivé et, même sans la cigarette, là encore j’étais simplement content.

Je peux ajouter que, lorsque je suis arrivé aux Philippines en 1985, alors que je ne connaissais pas encore le quartier de China Town autant que je le connais aujourd’hui, ce n’était pas évident de trouver tout le matériel et l’outillage nécessaire pour ces réalisations. Qui plus est, je ne parlais pas encore anglais ! Alors je m’aidais de mon petit Collins Gem French-English que j’avais toujours dans ma poche ou je montrais du doigt l’outil, le raccord dont j’avais besoin. De toute façon, il fallait, très souvent, faire preuve d’ingéniosité pour y arriver ! Grâce à l'aide des très compréhensifs et sympathiques philippins, cela ne posait pas trop de problèmes. Si j’étais en mesure de fabriquer ces outils, il fallait aussi les installer sur le fond et surtout en assurer la maintenance! J’aimais assumer ces travaux car mon métier de plombier – chauffagiste, tuyautage, soudage m’a toujours permis de fabriquer beaucoup de choses. En outre, ce qui pourrait paraître plutôt paradoxal, à mes débuts ce furent des installations en série dans des immeubles HLM, puis nettement plus spécialisées dans des villas de très grand luxe (Chiarini or, argent, bronze, porcelaines de Paris, etc.…), pour en arriver à appliquer mes acquis à l’archéologie sous-marine. Curieux parcours tout de même !

En fin de compte tout s'explique: habité par une véritable passion avec, “cerise sur le gâteau“, un cadre toujours renouvelé, lié aux découvertes journalières sur les épaves, dans un environnement de flore et faune unique. Grâce à mon Nikonos III et à son 15mm en permanence à mes côtés je pouvais fixer le tout pour la postérité. Entre les missions de prospection ou de fouille en mer, il fallait préparer les suivantes, ce qui impliquait des déplacements et des rencontres fréquentes avec les pêcheurs des îles. Ces derniers passaient leur vie, sur et sous la mer, avec leurs palmes en contreplaqué et hookas alimentés par des compresseurs qui, a leur seule vue, nous faisaient peur tellement c’était rudimentaire et paraissait fragile ! Pas pour eux car ils n’avaient pas le choix ! Ils devaient plonger et plonger encore pour vivre et faire vivre leur famille. A force d’explorer les fonds pour pêcher ou collecter des coquillages, il leur arrivait de découvrir des objets, des tessons de poteries, des morceaux de bois vermoulus… très précieux indices pour nous ! Alors de véritables réseaux s’établissaient entre eux et nous. Ces gens de la mer, devenus de grands amis, nous contactaient lorsqu’ils découvraient ces indices. Alors, pour nous, de longues procédures administratives débutaient avec les autorités du National Muséum pour obtenir les autorisations de prospection et de fouille.

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 En 1986, à l’issue de mon année de congés sans solde, il y avait tant de travail en cours et en prévision que j’ai décidé de demander une autre année de congés appelée “année sabbatique“, appuyée par des lettres de personnalités; elle me fut aisément accordée, puis à l’issue de cette année-là, j’ai reçu un courrier de la Direction de l’AFPA, me disant qu’elle attendait ma décision: soit revenir dans mes ateliers de formation et y retrouver mes élèves, soit démissionner.

Alors j’ai dû choisir ! Si j’avais considéré, seulement durant quelques minutes, l’aspect sécuritaire entre les deux carrières qui se présentaient à moi, j’aurais de suite acheté un billet de retour pour la France et retrouvé le centre de formation de Marseille La Treille, centre dans lequel j’étais titulaire à cette époque. Les passions l’ont emporté sur toute autres considérations et depuis je n’ai plus quitté les Philippines.

Cette activité m’a amené à rencontrer de nombreuses personnalités, à commencer par les plus "grandes", les pères de la plongée en France: Jacques Dumas qui m’a franchement lancé dans cette grande aventure archéologique, Pierre Perraud, Président de la CMAS de 1973 à 1985, qui m'a toujours soutenu, le Commandant Jacques-Yves Cousteau rencontré aux Philippines, Albert Falco rencontré en France et aux Philippines, Philippe Talliez en France et au Japon. Plus étonnant, la rencontre avec d’autres passionnés de la mer tels qu'André Leduc, vainqueur des tours de France en 1930 et en 1932, avec son pneu de rechange autour du cou et que j’ai eu la joie d’emmener plusieurs fois en plongée au Cap Croisette. Nous dormions dans un même bungalow et le lendemain de mon départ, que je fus triste d’apprendre par téléphone, son décès. Il faut y ajouter Deledda, des champions comme Esclapez, Patou, puis durant mes opérations, l’Amiral Turcat; mon cher ami Jacques Mayol, rencontré de nombreuses fois aux Philippines et au Japon lors de conférences communes, lui sur ses performances en apnée et les dauphins, moi sur la flore et la faune sous-marine des mers tropicales et Méditerranée, sans oublier mon travail archéologique. Une mémorable plongée avec le Président philippin Fidel Ramos (1992 - 1998), très intéressé par la découverte du galion San Diego qui a rappelé une importante page de l'histoire de son pays en cette fin du 17iem siècle. Sans oublier de nombreuses réunions avec des personnalités françaises en visite aux Philippines : Maître Georges Kiejman; Jean-Paul Desroches, Conservateur général du patrimoine au Musée Guimet; Luc Vanrel, cet ami des îles depuis 1972. Un Passionné de plongée qui n'a eu de cesse de retrouver l'épave de l'avion de St Exupéry (l'ultime secret), il a réussi à en refaire et à raconter toute son incroyable histoire et celle de tant d'autres grandes découvertes. Michel L’Hour, Directeur de la DRASSM. Alistair Mac Donald, ambassadeur européen aux Philipines et Brigitte son épouse, céramologue, présidente d’Oriental Ceramic Society Philippines à cette époque …. J’ai beaucoup apprécié, chez toutes ces illustres personnalités, une grande faculté d’écoute et beaucoup de considération pour les anonymes et leurs histoires vraies et vécues, mais aussi pour l’Histoire se rattachant à leurs découvertes; ces "choses" qui nous disent comment les gens vivaient à ces époques lointaines, le commerce qu'ils entretenaient par voie maritime, les routes qu’ils empruntaient…. A mes yeux, l’attitude de ces personnalités, souligne et accentue leur ouverture d'esprit. Bruno Condé et Denis Terver, pour moi vous comptez parmi elles… Tous ces contacts m’ont aidé à valoriser et à renforcer mes activités et mes passions.

Malheureusement, ce ne fut pas toujours le cas d'avoir été aidé, du moins au début ! En voici un exemple: pour une exposition, il m'a été demandé de prêter mes meilleures photos, déjà présentées et primées lors de précédents concours organisés dans le Sud de la France. Le but était de les mettre plus en valeur en agrandissant les négatifs en 48x72 cm, de les monter sur caissons lumineux de 15 cm d’épaisseur et de les exposer au salon de la navigation à Paris. À mon arrivée au salon, bien entendu, je me suis précipité vers le stand de cette exposition. Que c’était beau ! J’étais fier et heureux de voir mon travail ainsi mis en valeur ! Mais cette joie fut de courte durée et vite remplacée par une grande tristesse lorsque j’ai lu, en dessous des photos, un autre nom que le mien en tant qu’auteur. L’année suivante, on m'a redemandé des photos pour un concours organisé également lors du Salon de la Navigation à Paris Je me présente avec mes 50 meilleures photos; elles furent réceptionnées par des membres du jury, certes leaders en matière de photos sous-marines à cette époque. Mais j'ai vite remarqué qu'ils supportaient assez mal le bon travail des autres ! Alors, au vu de cette situation, j’ai remis tous mes documents dans mon sac et je suis allé visiter la Tour Eiffel.

Une vie excitante au possible, souvent dure physiquement et moralement mais supportable grâce à l’éducation "forte" reçue sur ces deux plans. En effet, durant ma vie, très active, au contact de ce monde marin, il y eut aussi des moments pas très faciles qui auraient pu me déstabiliser. Par exemple, je ne peux oublier certaines personnes, bardées de diplômes mais animées par des sentiments peu glorieux qui ont bien essayé de me nuire ou d'autres me reprochant d’être trop honnête ! Certes, on pourrait penser que de telles vicissitudes sont inévitables durant une longue carrière, spécialement dans ce monde où l'on ne se fait pas beaucoup de cadeaux. Seule une passion forte et inébranlable pouvait me faire passer aisément par-dessus ces vagues pour retrouver le calme et palmer encore et encore. Peut être aussi que, dans le cadre d'un tel parcours, il est sans doute nécessaire de passer sous ces fourches Caudines ?

Fort de plus de 5500 heures (enregistrées) passées sous l’eau, à titre sportif et durant cette intense pratique de l'archéologie sous-marine, accéder aux Certificats de plongée récapitulés ci-dessous a été pour moi une très grande satisfaction :

- 1st degree B E - FFESSM - 2nd degree - FFESSM - 3rd degree - FFESSM
- Instructeur FFESSM MA 668. (Fédération Française d’Études et Sports Sous-marins)
- Trained at the underwater photography school Imasub International
- International diving Instructor 2 stars CMAS 00668
- Master Instructor ADSI n°136 (Ass. of Diving School International) Philippines-Japon
- International certificate archaeology advanced diver CMAS 0013
- International certificate of scientific diver 3 stars CMAS 1008
- International Confirmed Scientific Diver CMAS Ph 0001
- International certificate – Archaeology instructor CMAS PHIFXX14 000001
- Member of CMAS scientific committee
- Member of Underwater Cultural Heritage CMAS and UNESCO
- Member of OCSP (Oriental Ceramic Society Philippines)

Et puis, malgré la fatigue de la journée de travail au fond, je ne me suis jamais endormi sans avoir soigneusement consigné tout ce que j’avais fait dans la journée. Des notes personnelles bien sûr mais aussi pour les rapports de fouilles que je devais remettre au National Museum de Manille et aux sponsors. Que de fois je me suis réveillé, tard dans la nuit, le nez sur mon cahier et mon Staedtler HB encore entre les doigts ! Toutes ces notes, dont il m'a fallu trois années pour les rassembler, m’ont permis, récemment, d'écrire, en trois volumes, (1015 pages et 1057 photos), cette vie d’aventures et de découvertes, matérielles mais aussi humaines.

Mes déplacements dans de nombreuses îles m’ont en effet, amené à découvrir les modes de vie de populations qui n’étaient vraiment pas habituées de voir des gens venus de l’autre coté de la planète, mais chaque fois d’un accueil si chaleureux! Très souvent seul, en compagnie d'un groupe de pêcheurs locaux, sur des bancas bien frêles, qui m’ont quand même valu deux naufrages de nuit et bien d'autres mésaventures encore, il me vient parfois à l’esprit cette réflexion : “Je ne sais pas pourquoi aujourd’hui je suis encore de ce monde ?”

Si la relecture de ces notes et l'évocation de ces événements, sur une si longue période, n’ont pas été chose facile, elles auront eu le mérite de me les faire revivre, parfois et même souvent plus intensément encore ! En effet, là je peux prendre le temps de m’arrêter sur chacun d'eux, ce qui n’était pas le cas lors du travail au fond où chaque jour tout allait et devait aller très vite, contrairement à des fouilles terrestres.

Je pense aussi à ces compatriotes aux Philippines qui m’ont toujours soutenu dans ces projets au travers de notre groupe UWA Inc: Louis Paul Heussaff, Ricardo Veloso, Jacques Desplaces, Laurent Didron, Jacques Branellec, l’ambassade de France… sans eux je n’aurais pas pu mener à bien tous ces projets. Je n'oublie pas non plus ceux de ma famille qui ont la grande patience d'attendre en surface ce Gilbert qui n'en finissait pas de remonter ou encore de m'avoir assisté durant toutes ces importantes missions aux Philippines. Heureux également d'avoir fait découvrir ces merveilles à Philippe, Gérome et tant d'autres encore. Merci également à Denis Terver et à Jef (AquaPortail), pour m'avoir fait participer, en 2012, à l'année internationale, déclarée par l'Unesco, pour la biodiversité sur le thème: “Sauvons-la, Soutenons-la, Partageons-la“.

Pour conclure, je voudrais dire à ces nombreux jeunes que, même encore de nos jours et sans diplômes universitaires (bien loin de moi l'idée d'en minimiser l'importance, il m'est aussi arrivé d'en regretter l'absence), on peut quand même faire quelque chose de positif de sa vie, mener une existence épanouissante, passionnante. Je n'aurai jamais assez de mots pour dire combien ce fut le cas pour moi. Néanmoins, il faut garder en mémoire que, dans un cas comme dans l'autre, avec ou sans diplômes, il n'y a pas de secret: il n'y a pas de réussite sans beaucoup, beaucoup de travail. Parfois, c'est même très dur, mais le résultat en vaut la peine. En ce qui me concerne, j'ai remarqué que, lorsque l'on croit pleinement à ce que l'on fait, les choses, on ne les trouve pas, elles viennent à vous... sans prétention aucune, je l'ai constaté tant de fois durant ces recherches et fouilles sous-marines. Je le redis, cette vie fut tellement passionnante et excitante que c'est peut-être la raison pour laquelle, j'ai, parfois, l'impression de n'avoir jamais travaillé ?

Rome, mai 2014, avec les Directeurs durant l'AG CMAS

Rome, mai 2014, avec les Directeurs durant l'AG CMAS

La Ciotat, le 22 juillet 2013, par une belle journée, avec Pierre et Jackie Perraud

La Ciotat, le 22 juillet 2013, par une belle journée, avec Pierre et Jackie Perraud

Manille, le 13 juillet 1990 en compagnie du Commandant Jacques-Yves Cousteau

Manille, le 13 juillet 1990 en compagnie du Commandant Jacques-Yves Cousteau

Manille, le 9 novembre 1989, avec Jacques Mayol

Manille, le 9 novembre 1989, avec Jacques Mayol

Au Japon, le 24 septembre 1989, avec Philippe Talliez

Au Japon, le 24 septembre 1989, avec Philippe Talliez

Marseille, le 22 juillet 2013, avec mon ami Luc Vanrel

Marseille, le 22 juillet 2013, avec mon ami Luc Vanrel

Manille, le 29 septembre 1992,  en compagnie de Maître Georges Kiejman

Manille, le 29 septembre 1992,
en compagnie de Maître Georges Kiejman

Manille, septembre 2018, avec Louis Paul Heussaff

Manille, septembre 2018, avec Louis Paul Heussaff

 
Manille, en compagnie du Président philippin, Fidel Ramos

Manille, en compagnie du Président philippin, Fidel Ramos

 

Encore merci à toutes les personnes, citées ou non, qui ont contribué à ce qui reste pour moi, une très grande aventure.

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Fouille d'un galion anglais, coulé le 21/01/1761 (Mer de Sulu). Site abandonné durant la nuit, transformé en "maternité" par un couple de Calmars à grandes nageoires (mâle de petite taille et femelle plus grande, près de leur ponte). Ces Calmars se …

Fouille d'un galion anglais, coulé le 21/01/1761 (Mer de Sulu). Site abandonné durant la nuit, transformé en "maternité" par un couple de Calmars à grandes nageoires (mâle de petite taille et femelle plus grande, près de leur ponte). Ces Calmars se déplacent en "escadrille" et à vive allure.

Textes et photos par Gilbert Fournier