Ancre, par 36m de fond, du galion espagnol : le “SAN JOSE“ qui a fait naufrage en 1694. Près de l’île de Lubang, aux Philippines.

Ancre, par 36m de fond, du galion espagnol : le “SAN JOSE“ qui a fait naufrage en 1694.
Près de l’île de Lubang, aux Philippines.

 

Réflexions…

L'appel du "large"? Oui, mais pas que. C'est l'appel de la découverte du difficilement accessible par le commun des mortels, de la découverte du magnifique qui recouvre les fonds marins, jusqu'à des profondeurs auxquelles l'organisme résiste avec le seul recours d'une assistance respiratoire. C'est aussi la découverte des environnements humains et terrestres proches des sites de plongée. C'est la découverte de ce pourquoi on passe des heures et des heures, en apesanteur, dans un absolu silence de confinement, sur les fonds marins du monde entier, en des profondeurs différentes et pouvant aller au-delà des 50 mètres, et parfois dans des conditions des plus exténuantes qui soient pour le physique.

Et ce pourquoi, quel est-il? C'est la recherche et la découverte d'épaves âgées de quelques siècles, épaves qui recèlent les plus beaux témoignages qui soient des activités humaines ou guerrières passées. Les plus beaux témoignages de la qualité des aptitudes technologiques des générations passées, celles qui ont créé avec, pour seule aide, leurs observations, leurs mains et leur intelligence ... qui n'avait rien d'artificielle.

Recherches aux fins de courses aux trésors?

Non pas! Cette seule motivation ne saurait suffire à galvaniser ni la détermination, ni la curiosité, encore moins l'envie de plonger. Autant d'objets découverts qui prennent chacun une valeur de trésor, même les plus petits et les plus anodins. Et le plongeur archéologue se contentera de ne conserver pour lui que ce qu'il y a de plus précieux: l'ivresse de vivre une passion, l'excitation chaque fois renouvelée de la découverte des épaves et des objets qu'elle peut renfermer, même s'ils peuvent n'être que des fragments, même si ces recherches sont précédées d'une pénible et ingrate phase d'élimination de la couche de corail, ou de vase, ou de sable, ou de ballast, qui recouvre les épaves. Ivresse justifiée par les liens établis entre ces objets et les traces humaines dont ils sont imprégnés.

Tous ces souvenirs désormais mis en mémoire, qu'elle soit E-mémoire, livresque ou photographique. Autant de moyens qui permettent de replonger dans son passé, Souvenirs presque amoureux qui peuvent se cristalliser sur des objets qui prennent une place toute particulière, sans toujours trop savoir pourquoi. Et ces objets peuvent être tout simplement les images de toutes les ancres de marine trouvées "au fond".

Pourquoi des ancres? C'est comme ça! Difficile de justifier, de s'expliquer le "coup de cœur" pour un groupe d'objets de la même famille. C'est un des aspects de la face cachée d'une passion! L'ancre ne serait-elle que l'emblème de ce qui reste quand tout a disparu? Le seul objet de belle taille qui subsiste quand l'épave a fini de disparaître?, Il en est de même pour les canons, les hélices de navires modernes…

Ce peut être l'épave d'un navire marchand qui n'a pas pu résister à de trop fortes vagues, qui s’est échoué par mauvais temps sur un récif recouvert de très peu d’eau, Navire trop chargé de vivres ou de marchandises diverses destinées à un ailleurs très lointain ou de marchandises reçues de ces mêmes ailleurs très lointains. Épaves de navires de guerre disloquées et leurs débris éparpillés, qui furent coulées par un adversaire plus habile, coulées sans laisser de traces d'ancre restée sur le pont.Les canons en bronze, ou en fonte, restés au milieu des décombres et matériaux de lest sont là pour en témoigner.

Toute une vie de passion sous-marine passée au rythme des envies de "lever l'ancre" et de repartir pour d'autres fonds encore vierges, pour y rechercher d'autres mémoires, d'autres histoires parmi celles de tous ces bâtiments coulés et dûment répertoriés avec une incroyable précision dans les archives maritimes des ports d'attache: port de départ, itinéraire, port normal de destination, cargaison ...sans oublier la composition précise des équipages. Il faut noter que ceci n’est pas vrai concernant les épaves des jonques Chinoises de la période de la dynastie des Song, pour lesquelles il n’existe pas d’archive..

Que d'ancres restées "plantées" sur place, au milieu de nulle part dans l'immensité des fonds. Restées plantées après des échouages toujours dramatiques. Elles demeurent toujours plus ou moins dressées ou plus ou moins couchées sur les fonds marins, montrant leurs pattes et leurs bras, leurs becs et leurs oreilles. Elles ont perdu toute pudeur et dressent avec une fierté éternelle leur imposante verge vers un dernier improbable organeau.

Ces pattes et ces bras dressés comme s'ils avaient voulu crier leur désespoir et lancer des S.O.S. que personne n'entendra. Au secours, on a coulé! Et ces bras sont restés dans ces positions, comme figés, puis momifiés. Figés avant d'avoir pu raconter leur histoire, leurs épopées, leur vie avec les équipages. Et pourtant, ces ancres en avaient à raconter! Beaucoup plus encore que ce que le plongeur qui les découvre peut bien modestement imaginer. Mais le rêve et l'imagination permettent de naviguer et d'imaginer quelques bribes de traversées en compagnie des équipages dont on ne peut se faire qu'une idée bien pâle des conditions de vie dans l'extrême.

C'est pour cela qu'on les aime et qu'on les respecte.

Et la Nature universelle reprend ses droits, même et surtout au fonds des mers beaucoup plus protégés des regards inquisiteurs. Nature qui ne saurait accepter ces nudités saugrenues et quelque peu insolites au milieu d'un jardin aquatique de rêve. Ces ancres vont se couvrir lentement d'une parure en parfaite harmonie avec le lieu sur lequel elles gisent. Elles vont servir de support pour l'implantation de dentelles de bryozoaires, de balanes, de petits coraux, de gorgones, de pontes toujours renouvelées, de crampons d'algues dont les sveltes lanières bariolées, graciles et gracieuses se transforment en tutus pour Petits Rats d'un grand Opéra sous-marin. Algues qui se balancent, qui ondulent en toute délicatesse au gré des courants de l'eau du fond, algues courtisées par une nuée de petits poissons aux mouvements délicats et brillant de toutes leurs lumineuses couleurs.

Que de souvenirs !

Mais l'abondance de tous ces souvenirs n'est que trop virtuelle et risquent de s'étioler et de subir l'usure du temps. La mémoire est ainsi faite. Néanmoins il convient de les sauvegarder par autant de documents photographiques. Souvenirs encore mieux imprimés en mémoire après les avoir écrits, pour pouvoir les faire ressortir tous quand l'envie et le besoin s'en font ressentir. Quelques secondes suffisent pour se remettre dans le bain de ce que furent tous les instants d'une vie de passion et neutraliser "illico" toutes les tentatives insidieuses de renaissance de la nostalgie toujours tapie dans le fond de son esprit.

Souvenirs revivifiant qui permettent d'attendre dans la sérénité le moment où il faudra "lever l'ancre" pour la dernière fois, sans emporter quoi que ce soit du trésor d'une vie de passion.

Texte par Serge et Gilbert Fournier, Juin 2020.

Quatre canons, parmi les 13 découverts sur le galion : le “SAN DIEGO“ durant la mission de fouilles en 1992

Quatre canons, parmi les 13 découverts sur le galion : le “SAN DIEGO“ durant la mission de fouilles en 1992

Serge et Gilbert Fournier, 2013

Serge et Gilbert Fournier, 2013

 

Textes et photos par Serge et Gilbert Fournier