“Investigator Shoal”

 
 

 Ce court récit fait partie de mes notes journalières écrites durant les fouilles archéologiques. Ces notes datent du 7 mai 1990 écrites lors de la fouille d’une jonque chinoise du 12iem siècle de la période de la dynastie Song (960-1279), située sur le récif nommé “Investigator Shoal“, en mer de Chine du sud. Une mission de fouille archéologique de WWF et du Musée National de Manille.

 
 
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… le travail sur cette jonque, qui a duré trois mois, fut extrêmement difficile, d’une part parce que l’épave, à trop faible profondeur, était recouverte d’une épaisseur de 50 à 80cm de corail très compact et puis à cause des conditions atmosphériques trop souvent très dures en cette zone ouverte de la mer de Chine du Sud.

Notre bateau support était mouillé à l’intérieur d’un lagon, le matin et l’après-midi nous nous rendions sur le site de fouille en pneumatique. Sur le site un radeau était mouillé sur quatre ancres, sur lequel étaient installées des pompes à eau pour alimenter les suceuses.

Jusqu’à ce que le corail ait fixé définitivement le contenu de cette jonque chinoise du 12iem siècle, le roulement incessant des vagues sur ces récifs submergés par seulement quelques mètres d’eau, a détruit une très grande partie de la cargaison de la jonque. Dans ces mouvements permanents et souvent violents sur ces récifs, je ne comprends même pas comment nous avons pu retrouver autant d’objets intacts !

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Entre autres tous les objets découverts sur ce site, près d’un jas d’ancre en granite de la jonque, nous avons découvert cette jarre, sous 80cm de corail très compacte. Elle était intacte. Nous ne savions pas si elle était vide ou si elle contenait quelque chose. Lorsque nous l’avons soulevée, elle a éclaté. Elle contenait 45 kg d’anneaux de cuivre.

 
 
 

Mais la plus belle découverte durant cette fouille fut cette magnifique aiguière, qui aujourd’hui est exposée à l’entrée d’une grande salle d’exposition au National Museum de Manille.

La découverte de cette aiguière, a une histoire que je ne pourrai jamais oublier.

7 mai 1990 -- Je lis dans mon rapport de cette journée : “Mer très mauvaise, personne ne veut venir travailler sur le site, alors je décide de partir seul.

Oui, j’admets que c’est à la limite du possible ; malgré cela je travaille sur le site durant 3h15’.

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Je me souviens que durant mon travail, par seulement 2.5m de fond, avec mon marteau et mon burin. Je me trouvais devant ce mur de corail dans lequel sont mêlés divers objets : anneaux de cuivre, petits vases et de nombreux tessons d’objets de l’époque de la dynastie Song. Les vagues étaient très fortes, régulièrement elles me soulevaient et je me retrouvais renversé, à l’opposé de mon travail, je revenais sans cesse, j’avais des ceintures de plomb à la taille et aux pieds pour me stabiliser, mais les vagues s’en moquaient bien, chaque fois je revenais, et puis, ce fut la récompense: Une forme ronde, couleur gris très clair est apparue, et après un travail délicat à l’aide de plus petits outils, une chose est tombée, ces mouvements ont fait de la poussière, je ne pouvais pas voir de quoi il s’agissait, le courant aidant, la place s’est éclaircie assez vite et c’est alors que j’ai réalisé que c’était une aiguière, intacte, avec, comme par miracle, son bec verseur, mais hélas sans son couvercle ; j’ai aussitôt placé ce bel objet en lieu sûr, dans une toute petite grotte, à l’abri des mouvements de la mer, puis j’ai repris mes outils,… et à un mètre, à gauche de la place où, une heure plus tôt j’ai découvert l’aiguière, quel miracle encore ! C’est le couvercle qui est apparu, lui aussi, intact.

Même dans ces conditions très dures, comme toujours, j’avais à mes côtés mon inséparable ami : mon Nikonos III.

Quelle dure journée, dans cette mer démontée, mais que de joie ! Une joie qui pousse à pleurer et qui marque pour toujours.

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Je pense fortement que suite à cette découverte, il se confirme en moi que le fait de faire corps avec son projet, avec une passion très forte, font que les choses viennent à vous tout naturellement.

Cela s’est confirmé lors de ma première plongée devant Fortune Island et de la découverte du galion։ le San Diego, puis quelques mois plus tard, son astrolabe, ensuite les découvertes des magnifiques vases blancs aux motifs floraux noirs sur la jonque échouée sur le récif de Breaker (12iem), en mer de Chine du Sud, cette fois-ci, ce magnifique vase, puis plus tard ce sera le magnifique, unique et intact grand bol early Ming sur la jonque chinoise du 15iem siècle près de l’île de Pandanan. Puis, en 1984, durant la mission “Opération Bonaparte” sponsorisée par le CR PACA, que de choses précieuses découvertes sur l’Orient!, le vaisseau amiral de la flotte Napoléonienne, coulé le 1er aoùt 1798 à Aboukir.

Et encore tant d’autres magnifiques découvertes.

 
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Légende extraite du livre d’exposition San Diego à Paris (page 23) par Jean Paul Desroches, conservateur en chef au musée national des arts Asiatiques au Musée Guimet.

Légende extraite du livre d’exposition San Diego à Paris (page 23) par Jean Paul Desroches, conservateur en chef au musée national des arts Asiatiques au Musée Guimet.

 
 

Textes et photos par Gilbert Fournier