Le volcan “Pinatubo”

Le 15 juin 1991, en début d'après-midi, je faisais des courses dans un supermarché de Makati. Ayant terminé mes achats, je sors du magasin et je remarque qu'il fait très sombre, presque nuit, je regarde ma montre, il est 14:30, alors je me pose des questions : je n'ai pas l'impression d'être resté longtemps dans ce magasin et il fait déjà nuit? Alors je m'adresse à une personne pour lui demander l'heure, il me confirme qu'il est 14:30, c'est alors que je réalise qu'il se passe quelque chose de sérieux quelque part. Aussitôt je décide de rentrer. Cela ressemble à un paysage de neige! Mais en fait c'est de la cendre. En arrivant à la maison je remarque que le sol en est déjà recouvert.

Les nouvelles ne se répandant pas aussi rapidement que de nos jours, c'est seulement par les informations du soir que nous avons appris que tout cela était dû à l'éruption d'un volcan : le Pinatubo. Toutes les radios ne parlent que de cette catastrophe. Le Mont Pinatubo a explosé ; il se situe à 100 kilomètres au nord-ouest de Manille. Cette montagne et son volcan, à l'altitude de 1700 mètres, était inactif depuis plus de six siècles. Cette éruption fut d'une violence extrême : de la lave en fusion, des cendres projetées jusqu'à 20 kilomètres de haut, accompagnées de nuages de gaz, le tout poussé par les vents, en l'espace d'un mois a créé un écran autour de la terre, ce qui eut pour effet d'abaisser la température au sol de 0.5° durant deux ans.

Le lendemain matin au réveil, partout, tout est blanc et l'intérieur de la maison est aussi entièrement recouvert de cendre. Durant plusieurs jours l'air était difficilement respirable. Cette montagne a été décapitée de près de 200 mètres. Durant les jours qui ont suivi il y eut 19 éruptions et les retombées de cendre ont dévasté toutes les forêts et cultures situées aux alentours.

Les éléments s'acharnèrent sur les Philippines, car au même moment le typhon "Yunya" traversa le pays au moment de l'éruption colossale du Mont Pinatubo.

Les cendres, qui couvraient sur plus de cent mètres d'épaisseur les flancs du Pinatubo, se transformèrent sous l'action de la pluie, en fleuves de boue : les "lahars", qui se déversèrent dans les vallées jusqu'à 60 kilomètres de distance. Ces coulées détruisirent les routes, les ponts et les villages. Plus d'un million de personnes furent sinistrées. La végétation de cette partie du pays fut brûlée et presque tous les animaux moururent. Tous les poissons des cours d'eau disparurent à cause de la cendre dans leur habitat. Les récoltes furent entièrement détruites sur 86 000 hectares. (Les lahars sont des "coulées de boue", des mélanges de cendres volcaniques, de blocs et d'eau, formés sur les volcans. La source d'un lahar peut être une forte pluie qui emporte les cendres de la pente d'un volcan).


À la suite de notre première mission de fouille du galion le "San Diego", en 1992, il nous restait une importante quantité de nourriture : principalement du riz, de la farine et des conserves de toutes sortes. Responsable de la logistique durant cette mission et tous les participants à cette opération, ayant regagnés la France, je me retrouvais seul à Manille avec tout cela et avec tant d'autres choses encore! Bien des fois je me suis demandé ce que je pourrais bien en faire? Puis un jour, par l'intermédiaire de l'ambassade, j'ai appris qu'une ONG française en activité aux Philippines avait l'intention de se rendre dans cette région du Pinatubo pour une action sociale, c'est alors qu'il m'est venu à l'idée que cette tonne de nourriture serait sans aucun doute la bienvenue chez ces gens affectés par cette catastrophe.

Bien entendu cette idée fut acceptée, et le 4 juin 1992, très tôt le matin, un camion est venu à la maison pour charger ce stock de nourriture. À 9:00 nous étions rendus au village d'Angeles, à 22 km à l'est du Pinatubo. Nous avons été reçus par les autorités locales, puis avec des interprètes, nous nous sommes rendus en un lieu où ont été construites des maisons en bambous et palmes pour y abriter les "Aetas", une tribu qui habitait dans les montagnes proches du volcan et dont une partie des gens a réussi à s'échapper durant l'éruption.

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« Les Aetas se caractérisent par leur couleur de peau, leur taille et leur type de cheveux. Ils ont pour la plupart une peau foncée à brun foncé, des cheveux bouclés et mesurent généralement moins de 150 cm de haut. Traditionnellement, les Aetas chassent et pèchent. Ils sont en fait parmi les plus compétents en matière de survie dans la jungle. Ils utilisent des plantes comme phytothérapie et ils fabriquent des outils et des armes. »

Nous leur avons remis toute notre cargaison de nourriture, bien entendu ils ont paru très heureux, mais j'ai surtout vu des gens déracinés, tristes, plutôt maladifs. En fait on me dit que beaucoup tombent malades à cause d'un mode d'existence qui a totalement changé du jour au lendemain alors que leurs habitudes de vie étaient la chasse, la pêche et toutes les nourritures qu'ils pouvaient trouver dans la forêt, et ils se retrouvent ici avec un climat très différent. La plaine, le village, les voitures, les conserves ils ne savaient pas ce que c'était.

Un homme, qui m'a paru être un chef de cette tribu, est venu vers moi, avec ses "outils de vie" il a voulu m'offrir son arc avec ses six flèches qu'il utilisait pour chasser et pêcher. Ce geste fort a voulu me dire que tout cela désormais ne pouvait plus lui être utile. D'emblée je ne voulais pas et je ne pouvais pas accepter un tel présent mais il m'a été conseillé de ne surtout pas refuser car il aurait été très offensé, parce que ce geste venait tout naturellement de son cœur, et qu'aurait-t-il pensé de moi ? Alors je l'ai accepté et bien entendu j'ai conservé cet ensemble et chaque fois en le regardant cela me fait penser à ces gens dont on a peine à s'imaginer leur existence si naturelle passée dans ces montagnes depuis toujours.

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Puis nous nous sommes rendus au village d'Angeles assez proche. Un an après cette catastrophe, quelle désolation ! De la cendre gris clair recouvre toute la région sur plusieurs mètres d'épaisseur, c'est un désert. Il y a là, je ne sais pas comment la nommer, disons une forme de "rivière" de 40 mètres de large et entre 3 et 4 mètres de profondeur. En ce moment elle est à sec, ainsi nous pouvons accéder à l'autre rive.

Nous marchons, durant 2 heures nous observons, une personne nous dit : là il avait un hôpital, là il y avait une école, là un pont, etc.. Maintenant il n'y a plus rien, tout a été emporté... . Le Pinatubo est dans la montagne en face de nous. Soudainement le ciel s'est fortement assombri, des éclairs, un orage, dans ce désert de cendres, sous ce ciel qui est devenu si noir ! C'est vraiment impressionnant. Soudain on nous demande de regagner l'autre rive car un "lahar " arrive, bien entendu nous obéissons. (Les lahars sont des "coulées de boue", des mélanges de cendres volcaniques, de blocs et d'eau, formés sur les volcans. La source d'un lahar peut être une forte pluie qui emporte les cendres de la pente d'un volcan).

Il était temps car dès notre arrivée sur l'autre rive, nous entendons comme un grondement, un roulement sourd qui s'amplifie puis nous avons vu apparaître un torrent d'eau chargé de cendre qui avançait avec une force terrible et soudainement remplir cette immense rivière qui est devant nous. Ce torrent de boue continue et s'étale dans la plaine où il y dépose les cendres.

Plus de 10 ans après la fin de l'éruption du volcan Pinatubo, ce phénomène se produit à chaque forte pluies durant les saisons "habagat" la mousson du sud-ouest, la saison des pluies qui apporte son lot de dévastations et de victimes.

Durant tout le temps du retour à Manille, c'était le grand calme dans notre véhicule, chacun de nous pensait à tout ce qu'il n'avait pas imaginé voir durant cette journée.

 

Textes et photos par Gilbert Fournier