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Suite à la découverte du galion “San Diego” le 24 avril 1991

Ce fut, durant la première mission de fouille en 1992,

la découverte de son astrolabe, le 10 mars 1992

…les choses, on ne les trouve pas, elles viennent à vous alors que l’on croit pleinement à ce que l’on fait et avec passion.

 

Mardi 10 Mars 1992. Les équipes de (2) plongeurs en narguilé qui se relayaient pour travailler sur le site avaient un programme de plongée bien établi.

Chacun savait à la minute près, quand le matin et l'après-midi il devait descendre au fond pour travailler puis remonter ou prendre le relais de l’équipe précédente.

Ce qui n'était pas mon cas, spécialement le matin, car avant de penser plongée je devais faire face à beaucoup d'activités annexes au travail archéologique (en fait, j’avais la charge de la logistique, dont le ravitaillement, faire le marché à Nasugbu, la petite ville située à 7 miles du site San Diego, les communications radio avec Lita à Manille pour commander tout ce dont nous avions besoin sur le site, entre autres et particulièrement les 65m³ d’oxygène médical indispensables utilisés chaque jour pour réduire le temps des paliers de décompression et en augmenter l’efficacité, le courrier, l’organisation des allées et venues des visiteurs et officiels etc.) Cela commençait à 5h30 du matin. Donc, impossible pour moi de programmer mes départs en plongée, j’étais tributaire de ces obligations dont je m’efforçais d’en réduire le temps au maximum car ma préoccupation première, je dirais presque mon obsession, était de descendre travailler sur le site. Malgré tout cela je m'efforçais de ne pas partir trop tard à cause de l'intervalle minimum de 4 heures que je tenais de respecter avant de repartir l'après-midi pour une deuxième plongée, tout cela à plus de 50 mètres. Ce jour-là, je n'avais pu descendre qu'à 11 heure, et comme chaque fois à cette heure-ci, seul, puisque tous les autres groupes de 2 plongeurs avaient terminé leur programme.

“En plongée l’effet des différents gaz sur l’organisme commence à partir du moment de l’immersion et le temps de décompression est calculé en tenant compte de la durée de la descente et jusqu’au départ de la remontée“. Le temps maximum que je m’autorisais à cette profondeur de 52 mètres était de 30 minutes, celui-ci étant un bon compromis entre cette durée et le temps obligé de décompression avant de faire surface et aussi pour effectuer une deuxième plongée l'après-midi avec un intervalle minimum de 4 heures. J’avoue que par de nombreuses fois il m’est arrivé de passer outre ces prérogatives, bien entendu le temps de la remontée s’allongeait, parfois même beaucoup. Donc, puisque j’avais la possibilité de pratiquer la BTV (Béance Tubaire Volontaire) pour une équilibration automatique des tympans, alors pour sauver des minutes, des secondes que je pouvais mettre à profit au travail, c’est le plus rapidement possible que je rejoignais les 52 mètres.

A 11h25, durant mon travail de recherche, je vois apparaître un anneau, pas ordinaire, telles les boucles de chaussure ou de ceinture que nous découvrions fréquemment; avec cette suceuse (water dredge) de grande capacité (150mm de diamètre)…

Water dredge - evacuation ballast SD 1992 - 1-2.jpg
Water dredge fond grosse suseuse - 2.jpg

…l'objet se découvre rapidement, aussitôt je me rends compte qu'il s'agit d’un astrolabe!

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Heureusement, lorsque je travaille, j'ai toujours près de moi mon appareil photo prêt à l'emploi (Nikonos III, avec objectif de 15mm et flash Master Imasub). Pour pouvoir continuer le travail de la suceuse et en même temps faire des photos, je mets le genoux gauche à terre et je place le nez de la suceuse sur ma cuisse droite et le simple mouvement avant et arrière de la jambe pliée, me permet de varier la distance entre le nez de la suceuse et de l’objet et ainsi de moduler la force d’aspiration contre cet endroit précis et de cette façon, tout en travaillant, j’ai les mains libres et cela me permets, durant le temps qu'il faut pour que l'astrolabe soit complètement dégagé, de faire une séries de photos durant sa découverte. (Il n'existe pas d'autres photos faites, in situ, d’un astrolabe, durant sa découverte sur un galion par 52 mètres de fond).

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En cet instant du 12 mars 1992, je me suis retrouvé dans la même situation que le 24 avril 1991 lorsque j’ai découvert ce galion : seul, face à cet objet, cette pièce maitresse pour la navigation à cette époque, mais là encore il me fallait rester très calme et lucide pour réaliser un maximum de documents durant cette découverte et maitriser tous les risques pris pour mener à bien cette plongée. Je sais que cette fois-ci Raul n’est pas en surface pour assurer ma sécurité (ref. récit de la découverte du San Diego) mais je suis quand même très rassuré par le fait que le site est relié à “Osam Service“, le navire support de surface, par plusieurs bouts et câbles électriques et qu’il y a de l’air disponible à partir des 9 mètres et que cela ne me pose pas trop de souci pour rallier ces premiers points de ravitaillement en air, même en partant du fond avec un manomètre indiquant une pression zéro dans mes bouteilles, ce qui m’est arrivé plus d’une fois, bien entendu je ne m’en suis jamais vanté, mais l’entraînement intensif, la bonne condition physique et une parfaite connaissance de moi-même grâce à cette pratique intense, faisait que je m’autorisais bien des débordements aux normes de base de sécurité que j’ai moi-même enseignées durant bien des années.

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Le temps que je m’autorisais à cette profondeur était déjà dépassé, mais ce fut plus fort que moi et là j’avoue avoir placé un point d’orgueil en décidant de ne pas vouloir abandonner cet astrolabe ici, au profit des plongeurs suivants, même en connaissant les risques que je prenais en décidant de vouloir absolument le remonter; ainsi en fin de plongée, je le mets dans un sac plastique et l'ensemble dans un sac spécialement conçu pour remonter des choses délicates, ce sac ne me quitte jamais (c’est une habitude que j’ai prise en 1984 à Aboukir sur "L'Orient", l’épave du vaisseau amiral de la flotte Napoléonienne, il y avait tant de choses précieuses diverses à remonter, tel, comme seul exemple, la montre de gousset et la chaîne en or du vice-amiral Paul Brueys D’Aigalliers, etc.. ).

Je prends encore le temps de placer 1a suceuse en bonne position d'attente pour le plongeur suivant de l’après-midi. Il est 11h38, avec mon encombrant matériel photo et mon précieux sac, j’entreprends ma remontée, lentement, tout cela est à la fois lourd, très encombrant et délicat.

Je devrai payer ces minutes passées en trop au fond en restant 63mn aux différents paliers : 15m, 12m, 9m : à l'air normal, à 6m et à 3m à l'oxygène pur, c'est long et j’ai très faim, mais cela n’est pas important, je sais bien que je n’ai pas d’autre choix que d’attendre que ça se passe et c'est durant ces moments-là, alors que je ne peux faire autre chose, que je repense à ce que je viens de vivre et de réaliser pleinement l’importance de la découverte que je viens de faire, c’est comme un film qui déjà se déroule dans ma tête et que j'analyse.

Je suis heureux, parce que je tiens ce précieux objet que personne d'autre n'a revu depuis le 12 décembre 1600, je suis seul avec et j'ai pleinement conscience que ce moment fort, unique, pur, que je vis en cet instant ne va pas durer, même, qu'il est bientôt fini ...!

Je peux maintenant regagner le pont d’Osam Service, en arrivant en haut de l’échelle, c’est le silence complet, pas âme qui vive, personne ne m’attend, aucune assistance pour m’aider à monter cette échelle de 2 mètres avec tout cet équipement qui, bien entendu en surface est bien plus lourd qu’en immersion et accentue les risques pour tout ce que j’ai dans les bras, enfin j’ai encore assez de ressources pour gérer cela au mieux, sans dommage. A cette heure-là il fait très chaud, le pont en fer du navire est brûlant, et pour presque tous c’est le temps de la sieste et d’autres sans doute sont encore au réfectoire terminant leur repas. Je quitte mes bouteilles, je pose mon matériel photo et sans enlever ma combinaison, presque comme un somnambule, avec ma découverte je me rends au réfectoire, mon néoprène, lui aussi encore saturé, fait que, à l’image du petit Poucet, je mets de l’eau de mer partout où je passe, mais là n’est pas mon souci; à mon arrivée à la cuisine j'y trouve le Directeur du National Museum de Manille, le représentant de la fondation Elf (mécène de cette mission) et Franck qui d’emblée me fait remarquer ma condition trop humide en cet endroit. Les deux premiers admirent, apprécient beaucoup et me félicitent chaleureusement, oui je sais que la découverte est importante. J'apprendrai plus tard que cet instrument de navigation est 1e 64ièm au monde qui soit répertorié et le 4ièm dont on est certain qu'il date d'avant 1600.

Le jour de cette découverte, les personnes de l'équipe de cinéma et photos sont à Manille, ils ont pris trois jours de vacances.

Il est vrai qu’il eut été trop dommage de ne pas faire un bout de film et des photos officielles durant la découverte de cet astrolabe et bien entendu cela ne pourrait se faire qu’en le redescendant au fond, c’est ce que propose les reporters du Figaro qui sont revenus sur 1e site, Franck n'y tient pas du tout, il invoque de nombreuses raisons: on risque de l'abîmer si on le manipule trop, c’est dangereux, etc.. Les reporters du Figaro Magazine arrivent à le persuader qu'il faut absolument le redescendre et faire des photos et film. Pour cela Franck ne pourra pas accompagner l’astrolabe, ce qu'il aurait peut-être fait si à cette époque il avait pu plonger à cette profondeur en bouteille.

C'est donc le 16 Avril 1992, avec l’équipe de reporter du Figaro Magazine que nous avons redescendu l'astrolabe. Les cinéastes demandent à ce que le sous-marin, qui permet aux touristes et officiels de visiter le site, ne descende pas car lorsqu’il arrive à proximité du fond, les hélices dirigées vers le bas soulèvent tant de poussière que cela aurait rendu impossible le tournage du film et les prises photographiques.

Cette opération a été réussie, sans aucun dommage ou autre problème pour l’astrolabe. Même si ces photos n’ont pas été prises au moment de sa découverte, j’ai quand même été satisfait de me voir sur un grand poster et à la page 89 du catalogue édité pour l’exposition de La Villette à Paris en 1994, tenant l’astrolabe à côté d’un des 13 canons du San Diego.

Lors de l’inauguration de cette exposition des découvertes faites sur le San Diego, il y eu le cortège des autorités françaises et philippines se rendant à l’entrée de l’exposition. Fidel Ramos, le président des Philippines était en tête. Tous les plongeurs ayant participés à cette fouille, ainsi que les invités, étions au bord de l’allée. Arrivé à mon niveau, le cortège s’est arrêté et j’ai vu le président Ramos, qui me connaissait, venir vers moi, il a sorti de sa veste un magazine “Mabuhay“ qui circulait dans tous les vols de Philippines Air Line (September 1994 – Volume 15 – Number 9). Le président me montre un article relatant cette mission de fouille, avec des photos de l’astrolabe et de sa découverte. Il m’a dit “tu vois cette histoire circule dans le monde entier et je suis fier…“ puis il m’a dédicacé ce magazine et me l’a remis. Du cortège arrêté, une personne en est sortie, est venus vers moi, m’a tiré en arrière et de me dire d’un ton assez fort que nous n’étions pas là pour ça ! Le cortège a repris sa route et, oui, j’avoue qu’après cela, je me suis retiré, j’ai craqué, j’ai pleuré.

Après tant de jours, d’années de travail, sans 1 jour d’arrêt, consacrés à ce projet, j’ai considéré ce geste venant du président Ramos comme une récompense, un réconfort.

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Le 13 Septembre 1994 à l'exposition de la Villette à Paris, j'ai été content et quelque peu ému de revoir l’astrolabe et toutes ces choses du San Diego qui me sont passées tant de fois par les mains, et bien entendu encore maintenant, fréquemment, au National Museum de Manille, … mais combien était-il plus beau au moment où je l'ai découvert ! *Mabuhay : mot tagalog qui signifie “Welcome – Bienvenue“. National Museum - Manila

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Une quantité impressionnante de petits et de plus gros Poissons, qui parfois occupent totalement le site de travail, en attente de tout ce qui vit dans cette énorme cargaison que nous découvrons chaque jours.

Une quantité impressionnante de petits et de plus gros Poissons, qui parfois occupent totalement le site de travail, en attente de tout ce qui vit dans cette énorme cargaison que nous découvrons chaque jours.

Textes et photos par Gilbert Fournier

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