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Découverte du galion “San Diego”

Coulé le 14 décembre 1600
Devant l’Ile Fortune, à la sortie de la baie de Manille

Récit detaillé et exact, mission de recherches en 1991, par Gilbert Fournier

Le 4 avril 1991, à 9h du matin, je rentre de Puerto Princessa, après un mission de recherches d’une Jonque chinoise du 12iem siècle, sur le récif nommé Breaker, situé en mer de Chine du Sud, à 14 miles au sud ouest des côtes de la grande île de Palawan et à 480 miles au sud de Manille.

Dès l’arrivée je dois déjà penser à repartir, cette fois-ci à seulement 42 miles au sud ouest de Manille, devant l’île ˝Fortune˝ pour une mission de recherche de l’épave d’un galion Espagnol, le “SAN DIEGO“. A 16h, Franck Goddio de World Wide First, arrive à Manille avec les techniciens du CEA : Gérard Shnepp et Jean Jacques Groussard ainsi que Michel L’Hour, directeur de la DRASSM.

Les jours suivants sont pleinement occupés à la préparation et au chargement sur le catamaran Kaimiloa de tout ce qui sera nécessaire pour la Mission de recherche.

Le 9 avril, à 2h du matin nous quittons Manille pour Fortune Island. A 7h nous sommes sur place.

 
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Aussitôt nous nous rendons sur l’île afin de localiser les endroits où il faudra installer les trois balises émettrices (beacon) qui enverront leurs signaux à la balise réceptrice sur Kaimiloa : système relié aux ordinateurs, qui permettra de tracer les lignes parallèles effectuées durant la recherche ainsi que l’enregistrement de la position des éventuelles anomalies magnétiques détectées.

Vu la configuration de l’île par rapport à la zone qui a été déterminée pour la recherche, les lieux de mise en place de ces balises est très facile, une à chaque extrémité de l’île et la troisième au centre, tout en haut où il y a un phare. Ces balises sont alimentées par des batteries et rechargées grâce à des panneaux solaires.

Le 13 avril à 11h, Olivier Gossot ambassadeur de France aux Philippines, Michel L’Hour directeur de la DRASSM, ainsi que deux représentants du National Museum de Manille nous rejoignent. Le lendemain matin, les ingénieurs du CEA, à bord de Kaimiloa, continuent de mettre au point tout leur matériel électronique très sophistiqué et ils le teste en faisant quelques va et vient devant l’île, toute cette mise au point n’est pas un travail facile mais Gérard et Jean-Jacques connaissent bien leur matériel, d’autant mieux que ce sont eux qui l’ont mis au point.

Etant donné que je ne peux pas leur être d’un grand secours en ce moment, j’en profite pour satisfaire le voeu de notre ambassadeur qui est d’apprendre à plonger. Et bien je commence par lui donner un “baptême“. Tout se passe très bien et il est ravi.

Ce n’est que dans l’après midi du 14 avril que nous sommes en mesure de commencer les recherches, à faire des lignes parallèles, espacées de 30 mètres chacune, dans un rectangle au préalable balisé de 1km de long sur 0,5km de large.

La mer s’est levée le soir nous devons arrêter le travail pour aller nous abriter derrière l’île pour la nuit.

Le 15, dans la matinée, un représentant du musée, l’ambassadeur et Franck Goddio quittent le site.

Le 16, nous avons bien travaillé, nous avons effectué 16 lignes, mais de nouveau la mer nous oblige à tout arrêter et partir dans une crique très calme près de Nasugbu qui est à 7 miles de notre zone de travail. Des problèmes de mécanique sur les moteurs de Kaimiloa font que nous devons repartir à Manille pour réparer.

Le 20 avril nous sommes de retour sur le site. Les techniciens du CEA analysent les tracés des bandes déjà rélisées, ils relèvent quelques anomalies, nous repassons sur les lignes, je me tiens debout à l’arrière de Kaimiloa tenant un ensemble: lest, bout clairement lové, afin qu’il descende sans s’emmêler et la bouée pour la surface; à l’instant précis où le point des coordonnées de l’anomalie apparaît sur l’écran, Gérard crie “GO“ et promptement je jette l’ensemble à l’eau. Le lest s’enfonce, la bouée est là, Kaimiloa continue sa route. Avec le pneumatique, je reviens sur ces points pour plonger afin de me rendre compte de quoi il s’agit. En fait la visite de la première anomalie à 21m m’a fait voir l’épave d’un petit bateau en bois avec des pierres et sacs de sable pour ballast et deux bacs en tôle ! La deuxième anomalie à 30m était l’étrave d’un bateau moderne en fer de 8 mètres de haut, qui a été placée là pour en faire un récif artificiel, ce n’est pas très loin de la côte et sans aucun doute au profit du club de plongée qui existe sur l’île juste en face. Puis je ne trouve absolument rien au cours de ma plongée sur la 3iem anomalie à 38m..

Le 22 avril, nous poursuivons les recherches, mais à 12h30 le capitaine n'avait pas vu le mouillage d'une banca, les "poissons" que nous traînons pour la détection des anomalies l'accroche au passage et le frottement sur les 60 mètres de bout de ce mouillage endommage le câble qui relie les “poissons“ aux ordinateurs et le système prend l'eau. Nous n'avons pas d'autre choix que de rentrer au petit port calme de Nasugbu pour réparer.

Le 23 avril à 9h nous repartons poursuivre les recherches, mais à 15h de nouveau le câble prend l’eau. Que de problèmes ! Et en fait pour seulement quelques heures de travail. Retour à Nasugbu, nouvelle réparation du câble.

Le 24 avril, départ sur le site à 9h. A la sortie de la baie de Nasugbu il y a un haut fond, un rocher qui pointe à 1,5 mètres de la surface, le capitaine connaît bien son emplacement, mais cette fois-ci, l'a-t-il oublié ? Quoi qu'il en soit, sous Kaimiloa il y a une perche de deux mètres à l'extrémité de laquelle est fixé un appareil d'enregistrement, appelé "tête acoustique", il a touché le haut fond, plié la barre et endommagé l'appareil. A la suite de cet accident les techniciens du CEA et le capitaine décident, une fois de plus, de rentrer à Manille pour réparer, je m'oppose à cette décision, je propose que nous repartions sur le site afin que je puisse plonger sur deux autres anomalies détectées le 22. Ils ne sont pas d'accord, je me fâche, je m'impose et finalement, vraiment à contre cœur, ils acceptent. Dès notre arrivée nous positionnons une bouée sur une première anomalie, celle-ci porte la référence A 30. Nous savons qu'à cette place précise il y a 52 mètres de fond, par sécurité, au cas où il y aurait du courant j'ai mis un bout de 60 mètres sous la bouée et un lest de plomb de 10kg. A ce moment-là à bord de Kaimiloa il y a le capitaine Jean-Marie Bertran, Eddie Conese du National Museum, Raul Teves le cuisinier, les 2 ingénieurs du CEA et moi : seul plongeur de l’expédition et personne d’autre. Il est 11h, je m’équipe, bien entendu sans aucune assistance, pour une plongée profonde, mon bi bouteille (2 X 12 litres) est gonflé à 200 bars; en un lieu que je ne connais pas, à une telle profondeur, je ne prends avec moi que le minimum d’accessoires, chaque fois il en est ainsi lorsque j’ignore tout de ce qui m’attend, courant, visibilité, faune etc.., bien que je me sente dans une condition physique et psychologique optimale, c’est pour moi une simple question instinctive de sécurité, donc je ne prends pas mon matériel photo mais seulement mon phare “Imasub“, Kaimiloa ne mouille pas, il s’immobilise plus loin, et c’est Raul qui me conduit avec le pneumatique près de la bouée. Raul sait qu’il devra rester là, bien entendu sans se tenir à la bouée de crainte de déplacer le mouillage, il sait aussi qu’il devra descendre une bouteille de secours à 6 mètres sous le pneumatique, ainsi que des bouts équipés de mousquetons afin qu’au retour je puisse y accrocher mon filet, ma ceinture de lest, ma bouteille et autres accessoires. Raul est très entraîné à ces manoeuvres d’assistance, il me connaît bien, il sait être patient pour m’attendre et il est d’une vigilance sans faille, il fait toujours exactement tout ce qu’il faut pour assurer ma sécurité à partir de la surface et je lui fais totalement confiance, donc aucun souci en ce qui concerne la sécurité, je sais que Raul sera là lorsque je remonterai et qu’il saura m’assister en cas de besoin, c’est mon ange gardien. Voilà, une bascule arrière et je suis à l’eau. Je sais que je pars pour une plongée profonde, je ne me pose aucune question, aucun souci ou crainte ne me vient à l’esprit, et puis je ne sais pas pourquoi, mais ce jour-là je me demande ce qui aurait pu m’arrêter. Comme à l’habitude, dès l’immersion, par réflexe, je me mets en BTV (Béance Tubaire Volontaire), ce qui m’autorise à descendre le plus rapidement possible, ceci me permet de gagner de précieuses secondes que je peux mettre à profit sur le fond. Plus je m’enfonce, moins la visibilité est bonne, puis je vois apparaître des formes, ce sont des massifs de corail, c’est gris foncé.

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Bien entendu je suis le bout du mouillage de la bouée jusqu’au fond et soudain, qu’est-ce que je vois à 1 mètre du plomb de lest fixé à l’extrémité de mon bout ? une jarre posée à coté d’une longue barre droite, je la suis, c’est une ancre, de quatre mètres de long, qui ressemble bien à celle des galions; à quelques mètres de là, posée de la même façon, j’en vois une deuxième. J’ai la réaction de penser que les ancres d’un bâtiment étant automatiquement fixées à la proue, donc s’il y a un navire ici, il doit se trouver derrière moi, ainsi je me retourne, et là j’aperçois un tumulus, je remarque que là ce n’est pas un massif de corail, je m’en approche, j’évalue sa hauteur à environ 3 mètres, je me rends au-dessus, j’avance et je découvre un canon de bronze posé en travers, il me vient de suite en mémoire un récit de la bataille du San Diego contre les Hollandais disant que durant le déroulement de la bataille les Espagnols avaient monté un canon sur le pont supérieur du navire … Sur la surface je remarque des objets très concrétionnés, malgré cela grâce à ma torche entre les failles des concrétions je vois que ce sont des objets bleu et blanc.

Je continue de palmer le plus calmement possible, d’une part pour minimiser mes efforts et d’autre part pour ne pas soulever de poussière; j’arrive en bas du tumulus et je vois d’autres canons, sur l’un d’eux mon éclairage me permet de lire : “PHILIPPUS .. ANIARRD 1598.

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Je réalise que je viens de découvrir le Galion “SAN DIEGO“. Je ne peux pas m’attarder davantage, je ne dois ni sauter de joie, ni m’exciter, ce qui n’aurait pour seule conséquence d’augmenter ma consommation d’air avec toutes les fâcheux résultats que cela peut entraîner à cette profondeur.

Je suis au pied de l’épave, à 52.60m et j’ai bien conscience aussi que je suis seul.

Cela fait 26 minutes que je suis parti, c’est beaucoup, mon ordinateur me dit que j’ai déjà beaucoup de paliers de décompression à faire, sans aucun doute la quantité d’air restant dans ma bouteille ne suffira pas, mais je pense à Raul qui m’attend. J’entame ma remontée en respectant la vitesse que m’autorise mon ordinateur, si je la dépasse, une alarme se déclenche. Les paliers durent plus d’une heure. Bien entendu la bouteille de secours a été la bienvenue.


Ce temps terminé, je passe tout mon matériel à Raul, je m’accroche au boudin du pneumatique, tout en palmant fortement pour m’aider à sortir de l’eau, d’un coup de rein et rétablissement et je me retrouve dans l’embarcation. Nous rejoignons Kaimiloa et je suis heureux d’annoncer à Gérard, Jean-Pierre, Jean-Marie et Eddie les résultats de ma plongée et de ma découverte du SAN DIEGO.

 

Tôt dans l’après-midi nous repartons pour Nasugbu. Je me rends à la poste du village, c’est le seul endroit où l’on peut téléphoner. Dès l’arrivée j’ai donné mon nom, celui de la personne que je désire contacter et son numéro. La standardiste me donne un petit papier et me demande d’attendre qu’on m’appelle. C’est en France, à Paris, elle doit d’abord se connecter avec Manille, sans arrêt je la vois qui enfile des fiches dans des trous, les retire et les remet dans un autre trou rapidement et énergiquement jusqu’à ce que au bout de 30 minutes la communication s’établisse enfin. C’est alors que j’ai pu informé Franck de ma découverte.

Ce matin-là, alors qu’au départ de Nasugbu nous avions eu ce problème de casse, et que j’ai dû me fâcher pour que nous ne repartions pas à Manille, je crois qu’un subconscient me poussait, que quelque chose me disait que je devais aller plonger sur les anomalies, je ne sais pas quelle force me poussait pour avoir autant insisté et m’être finalement imposé pour vouloir venir sur le site.

C’était mon jour, je devais y aller. Le résultat a bien justifié mon insistance et ma détermination a été bien récompensée et quelle récompense! Je considère que c’est la plongée dont tous les plongeurs du monde aimeraient réaliser.

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SD - jarres et banc de poissons F.jpg

Il fallait davantage de documents pour établir un dossier avec le plus d'informations possibles pour le National Museum et le groupe Elf déjà contacté pour sponsoriser une mission de fouilles probablement à venir dans un futur proche.

Le 25 avril, nous revenons sur le site. Dès l'arrivée, je m'équipe et dans les mêmes conditions que la veille, seul encore, je regagne le fond, cette fois-ci j’ai pris mon équipement photo. De nouveau je me trouve précisément sur l'épave.

Dès mon arrivée je me mets à genoux, je sors mon Nikonos III et son Flash Master Imasub, je pose le cache de l’objectif de 15mm sur la verge de l’ancre (que j’oublie et que je retrouverai 1 an plus tard lors de la mission de fouille) et je photographie les ancres, les canons, les jarres et tous ce que je peux, enfin pas tout ce que je veux car mon film ne me permets que seulement 36 pauses, ensuite je prends les mesures du site, la hauteur, la longueur, la largeur et également l'orientation, je relève tout cela sur ma tablette en plastique. Cette deuxième plongée me permet de me rendre compte que le galion est là, complet, que personne n’a revu depuis le jour de son naufrage le 12 décembre 1600 ; je suis stupéfait de découvrir sur cette épave une telle quantité d’objets.

Là encore pour toutes ces opérations d’observation, de prise de vues et de mesures il a fallu faire très vite, mettre à profit chaque geste, chaque seconde, pour collecter le maximum d’informations car je savais que je n'y reviendrais pas maintenant, d’abord dans le but de garder secrète la découverte puis le temps de préparer la mission de fouille, probablement au début de l’année à venir.

Comme hier, je sais que j'aurai beaucoup de paliers de décompression à effectuer. En fait cette fois-ci j'ai passé 33 minutes à 52,6m, aussi je devrai m’arrêter 2mn à 12 mètres, 6mn à 9m, 11mn à 6m et 30mn à 3 mètres, ce qui fait un total de 82 minutes pour cette plongée, là encore Raul Teves a été pour moi d'une aide précieuse.

Après cette plongée nous avons remonté la bouée de signalisation de l'épave et après quelques heures de repos, nous nous sommes rendus à l'arrière de l'île Fortune dans le but de filmer les poissons du side scan sonar au travail, mais l'eau était trop trouble, c'est alors que nous avons arrêté et décidé de rentrer à Nasugbu, il était 17 h 45.

Le 26 avril, à 7 h 30 après avoir fait le plein de fuel à Nasugbu nous sommes repartis devant Fortune Island pour plonger sur la deuxième anomalie. Celle-ci se trouve à 42 mètres, elle est située au niveau de la pointe Est de l’île. Sur le fond j'ai rencontré un fort courant, je ne pouvais pas me stabiliser mais le seul avantage était d’avoir une eau très claire, finalement je n'ai absolument rien vu de spécial. Après cette plongée, nous nous sommes rendus sur l'île, nous avons démonté les trois balises émettrices et après avoir embarqué tout le matériel sur Kaimiloa, à 15h, nous avons levé l’ancre pour rejoindre le yacht club de Manille à 21 h 30.

Je ne réalise pas encore l'importance de cette mission de recherches, de cette découverte et surtout de la quantité de travail que cela allait me donner pour les années à venir.

Ceci fût la MISSION DE RECHERCHE DEVANT FORTUNE ISLAND, DU 9 AU AU 26 AVRIL 1991.

LE 24 AVRIL, J’AI DÉCOUVERT L’ÉPAVE COMPLETE DU GALION ”SAN DIEGO”.

POMACANTHUS ARCUATUS – Fortune island – 25 avril 1991 – 52 meters deep.

POMACANTHUS ARCUATUS – Fortune island – 25 avril 1991 – 52 meters deep.

 

Textes et photos par Gilbert Fournier

 

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